La météo a-t-elle vraiment une influence sur la douleur ?
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La météo a-t-elle vraiment une influence sur la douleur ?

La météo a-t-elle vraiment une influence sur la douleur ?

Pour nous kinésithérapeutes, le moment de l’année approche où les gens vont commencer à se plaindre de « sentir que le temps va changer », que le brouillard de ce matin « a réveillé leur arthrose de genou » ou que « leurs os se mettent à craquer ».

Cette semaine, j’ai eu cette conversation avec une de mes patientes qui mettait en cause quelques jours de froid et de pluie pour expliquer qu’elle ait si mal au dos, soudainement, sans raison apparente.

Ce n’est pas la première fois que j’entends cette explication, et à chaque fois elle me laisse sceptique… Si l’humidité ambiante est en cause, les patients souffrant d’arthrose ont-ils mal en se trouvant dans une pièce particulièrement humide plutôt qu’une autre ? Si le froid réveille leurs douleurs, comment expliquer que certaines personnes âgées hospitalisées dans des chambres surchauffées depuis des semaines sans sortir invoquent cette raison ? Au fond, n’est-ce pas uniquement une croyance populaire conditionnant l’expérience de la douleur de ces personnes ? Ou y a-t-il plus que des causes psychogènes derrière ce phénomène ?

Relativement peu d’études disponibles

Pour en avoir le cœur net, j’ai décidé de jeter un rapide coup d’œil à la littérature scientifique. Le sujet est étudié plus ou moins rigoureusement depuis au moins 1948. Malheureusement je n’ai pas pu trouver de revue systématique sur le sujet, donc pas de preuve scientifique du plus fort niveau.

L’article qui a le plus retenu mon attention est une étude observationnelle de 2015 intitulée « L’influence des conditions météorologiques sur les douleurs articulaires chez les personnes âgées atteintes d’arthrose: Résultats du Projet européen sur l'arthrose ».

Dans cette étude, les chercheurs ont analysé sur 18 mois les données de 810 participants de 6 pays européens avec un diagnostic établi d’arthrose de main, de genou et/ou de hanche. La conception de l’étude est intéressante car elle prend en compte des pays aux climats variés tels que l’Espagne et la Suède.

L’intensité de la douleur a été comparée avec la température, le taux d’humidité, le niveau des précipitations, la pression atmosphérique et la vitesse du vent, et ce sur des périodes de plusieurs jours pour voir aussi si les changements de temps d’un jour à l’autre avaient une influence.

Pas d’effet de la température sur la douleur, mais l’humidité semble avoir une importance.

La première conclusion intéressante est que la température ne semble influencer le niveau de douleur chez ces personnes. En revanche, l’humidité, et en particulier combinée à une température basse, semble corrélée à la douleur. A noter toutefois que l’effet semble mineur, avec une taille d’effet de 0,06. Pas d’effet statistique significatif non plus concernant les changements de climat d’un jour sur l’autre, pour aucune des variables étudiées.

Cependant, comme il s’agit d’une étude observationnelle et pas expérimentale, on ne peut pas conclure à une causalité, mais juste à une corrélation. On ne peut pas donc affirmer que c’est l’humidité qui cause la hausse de la douleur, on peut juste dire que les deux surviennent en même temps !

Il faut bien dire qu’il serait difficile de faire une étude expérimentale type essai randomisé avec la température et l’humidité contrôlées précisément sur une longue période, et donc de pouvoir dresser des causalités entre les facteurs.

Oui mais alors, par quel mécanisme ?

Les auteurs mentionnent la possibilité de voir son humeur, et donc sa douleur, affectée par le temps qu’il fait. Mais ils privilégient surtout une hypothèse plus « mécanique » lié aux tissus articulaires.

En effet, il est possible que l’humidité et la température changent les propriétés du liquide synovial des articulations : plus le liquide est froid et plus il devient visqueux. Et plus il est visqueux, plus la friction est importante, ce qui exacerberait la douleur. Oui mais comme on a vu que température et douleur n’était pas corrélées, comment l’humidité de l’air impacterait ce qu’il se passe dans les tissus de nos articulations ?

Une autre hypothèse fait le lien entre la météo et la sécrétion d’hormones. Chez l’animal, on a ainsi  observé une hausse des hormones inflammatoires les jours nuageux et pluvieux comparés aux jours ensoleillés. Cette état d’inflammation du corps pourrait à son tour expliquer l’augmentation de la douleur.

Et donc pas « d’effet nocebo » ?

Spontanément, je me dis que les conditions météo extérieures n’ont que peu d'influence sur les tissus corporels eux-mêmes. Il peut bien faire froid et humide dehors, si on reste bien habillés au chaud à l’intérieur, quelle différence cela peut-il bien faire? Et quand on se balade en short en février, la peau peut certes refroidir, mais cela touche-t-il pour autant les tissus profonds type capsule, cartilage ou liquide synovial ?

Je m’attendais à voir discutée dans la littérature l’hypothèse selon laquelle il s’agirait d’un conditionnement psychologique. C’est-à-dire qu’en s’attendant à avoir mal, on a plus mal (« Comment les attentes modèlent la douleur »). Or, les auteurs des différentes études que j’ai consultées ne l’évoquent nulle part.

Une autre piste qui mériterait d’être explorée, c’est le rapport entre la baisse de l’activité physique amenée par le mauvais temps qui pourrait aggraver les douleurs articulaires en hiver, mais à ma connaissance aucune étude sur l’influence de la météo n’a pris en compte cet aspect.

Enfin, il faut quand même mentionner le fait qu’on est très loin d’avoir des certitudes sur le sujet, et que d’autres études ont montré en fait tout le contraire. Il va donc falloir faire à nouveau face à un flot de mystérieuses poussées aiguës d’arthrose cet automne sans avoir d’explication rationnelle à donner à nos patients !